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L’implacable réalité du cycle économique

  • Auteur(s)
    Kevin Thozet
  • Publié
  • Longueur
    4 minute(s) de lecture


Après en avoir profité depuis près d’un un, les marchés financiers vont devoir anticiper les effets d’un retrait progressif des mesures de soutien et des plans de relance destinés initialement à faire face à la crise, explique Kevin Thozet, membre du comité d’investissement de Carmignac.

Comment analysez-vous la situation actuelle des marchés financiers et de l’économie mondiale ?


Kevin Thozet : Depuis près d’un an, les marchés financiers ont bénéficié d'une reprise sous stéroïdes grâce aux mesures exceptionnelles prises à la fois par les gouvernements pour relancer l’économie de leur pays, mais aussi par les banques centrales. Maintenant que la reprise de la croissance ne constitue plus le principal enjeu des autorités, les plans d’urgence ayant permis de ramener l’économie mondiale sur une trajectoire plus engageante, la réalité du cycle économique reprend ses droits vis-à-vis de ces mesures mises en place pour faire face à la crise.

Comment cela ?


K.T. : Les banques centrales, dont les décisions permettent de réguler l’activité économique, se font moins présentes. Elles se focalisent davantage sur la stabilité des prix et celle du système financier que sur la croissance économique. En parallèle, de nombreuses mesures ou annonces de soutien se font moins prégnantes de la part des gouvernements, la croissance économique étant de plus en plus autonome. Toutefois, cela n’est pas sans soulever plusieurs questions ; ce d’autant plus au regard de l’importance prise par les mesures de soutien en cette période si singulière.

Lesquelles ?


K.T. : Que se passera-t-il quand les stimulants vont disparaître ? Comment les marchés financiers vont-ils réagir dans un environnement plus « normal » ? Le risque est-il de les voir chuter ? Seront-ils rattrapés par la gravité ou reprendront-ils la trajectoire qu’ils ont tendance à suivre sur le long terme ?

Et concrètement comment cela se traduit-il?


K.T. : Nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises ces derniers mois, les Etats-Unis font, une nouvelle fois, figure de modèle dans le pendant et l’après de cette crise. Et aux Etats-Unis, on est tout proche d’un point d’inflexion. Surveillant attentivement l’évolution des prix, la banque centrale américaine a fait évoluer sa communication. Elle pourrait ralentir dans les mois qui viennent le rythme des achats d’actifs financiers qu’elle opère régulièrement sur les marchés financiers pour soutenir l’économie américaine - possiblement dès cet automne - si les statistiques économiques restent bien orientées. Ce changement de braquet devrait être très progressif et la perspective de voir la Réserve Fédérale agir de façon plus conventionnelle visiblement rassure à en juger la réaction des marchés financiers et la bonne tenue des actifs dits « risqués ».

Doit-on comprendre qu’il n’y aurait aucun problème en vue aux Etats-Unis ?


K.T. : Absolument pas. Il y a d’ailleurs quelques problèmes qui pourraient remonter à la surface. Tout d’abord, l’attention semble se porter de plus en plus sur la situation du marché de l’emploi. La dépendance accrue vis-à-vis des statistiques sur l’emploi tend à constituer une source de volatilité pour les marchés financiers, ces publications étant elles-mêmes volatiles, sujettes à révision et à des ajustements saisonniers. Le risque est ici de voir la banque centrale américaine contrainte de remonter ses propres taux d’intérêt dans un contexte de marché de l’emploi particulièrement vigoureux.

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En quoi cela serait-il un problème ?


K.T. : Cela peut sembler paradoxal car la perspective d’un marché de l’emploi en pleine forme constitue une bonne nouvelle a priori. Seulement, nous ne sommes pas dans une situation normale, le niveau d’endettement actuel de l’économie mondiale étant considérablement élevé, le système financier ne pourrait pas supporter une hausse des taux d’intérêt - et donc du coût du crédit - auxquels il est désormais devenu extrêmement sensible.

Quel autre problème pourrait remonter à la surface ?


K.T. : Qu’adviendra-t-il lorsque la banque centrale américaine et d’autres, qui l’envisagent également, réduiront leurs mesures de soutien exceptionnelles auxquelles les marchés financiers se sont habitués ? A n’en pas douter, un tel changement induirait à terme une croissance économique mondiale moins vigoureuse. Jusqu’ici, les discours des autorités semblent plutôt avoir été bien accueillis. Il faut toutefois se préparer à l’éventualité de conditions financières moins favorables et à ses conséquences sur les marchés financiers. Même si les choses devraient se faire progressivement et graduellement.

Vous parlez beaucoup des banques centrales. Qu’en est-il de l’action des gouvernements ?


K.T. : Si l’on ne s’attend pas à ce que les gouvernements retirent d’ici la fin de l’année les mesures prises depuis 18 mois, le temps d’un retrait progressif viendra également. Les différents plans d’urgence ont permis de préserver de nombreux emplois, de maintenir la confiance dans la solvabilité financière des entreprises et des ménages, et d’éviter également plusieurs faillites. Le risque existe donc qu’un retrait de certaines mesures de soutien puisse s’accompagner d’une recrudescence des faillites et des défauts de paiement à terme.

La réalité économique pourrait rattraper de nombreuses entreprises…


K.T. : Exactement. De plus, aux Etats-Unis, les ambitions du gouvernement américain devront, selon toute vraisemblance, être revues à la baisse dans un contexte de négociations difficiles compte tenu de la majorité fragile dont « bénéficie » le parti Démocrate. Aussi le risque est-il de voir l’économie mondiale profiter cette année de mesures gouvernementales moins fortes qu’initialement anticipé, et même d’observer un recul des montants alloués dès l’année prochaine.

Faut-il s’attendre à un retournement brutal de l’économie mondiale ?


K.T. : Non. Au cours des prochains trimestres, les économies américaines et européennes devraient enregistrer une croissance à deux chiffres en rythme annualisé grâce, notamment, à la consommation des ménages, au commerce mondial et à la reprise du tourisme. Mais un ralentissement est attendu par la suite. De son côté, l’économie chinoise, qui avait commencé à rebondir avant les autres, évolue déjà à un rythme atténué ; et sans intervention de Pékin, sa croissance devrait être inférieure à son potentiel d’ici la fin de l’année. Cette situation aura également des conséquences pour l’Europe, particulièrement sensible à la croissance chinoise.

Comment gérez-vous cette situation ?


K.T. : S’aventurer à prévoir le point haut d’un cycle économique est toujours un exercice délicat. Toutefois, lors des périodes précédentes c’est bien l’inflexion des mesures de soutien des banques centrales qui a marqué le début du retournement du cycle économique. De telles inflexions influent logiquement sur la performance des valeurs en Bourse. Le contexte dans lequel nous évoluons aujourd’hui est donc favorable aux valeurs dont la croissance des bénéfices est moins dépendante du cycle économique. Ce sont de telles valeurs que l’on retrouve aujourd’hui dans nos portefeuilles et qui constituent la colonne vertébrale de nos investissements actuels.

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Source : Carmignac, Bloomberg, 05/07/2021